Le Renard et le Bouc, Fables, III-5, La Fontaine.
Introduction :
Au XVII siècle, la société se concentre autour de la cour du roi. Les écrivains comme La Bruyère ou La Fontaine soulignent les nombreux travers de leurs temps dans leurs œuvres fidèles à l’idéal classique : instruire et plaire.
Ainsi en 1668, Jean de La Fontaine publie ses Fables, dans celles-ci, des apologues inspirés d’Esope tirent les leçons de cette observation sociale.
La fable 5 du livre III : « Le renard et le bouc » illustre la nécessité de bien examiner les conséquences avant de se lancer dans une aventure.
Mon explication suivra les grandes parties de ce texte : la situation initiale d’abord, le dialogue et les péripéties ensuite, la double leçon enfin.
Vers 1 : capitaine Vers 2 : maître |
Titres honorifiques |
Dès le début (premier quatrain), le renard est mis en situation de supériorité. |
Vers 4 : L’autre était passé maître en fait de tromperie. |
Une seule qualification |
Description minimaliste : va à l’essentiel (fourberie légendaire de l’animal), justifie le choix du renard. |
Vers 2 : son ami bouc des plus haut encornés |
Antiphrase Tournure superlative Connotation cocufiage |
Portrait bref et moqueur, ironie (les cornes sont le symbole de la tromperie, de l’adultère). Dès le début, le bouc est mis en situation d’infériorité. |
Vers 3 : Celui-ci ne voyait pas plus loin que le bout de son nez |
Métaphore de la crédulité, de l’aveuglement |
|
Vers 3 : Celui-ci Vers 4 : L’autre |
Pronoms antéposés |
Renforce la disjonction entre les prétendus « amis ». |
Vers 1/4 : Capitaine renard allait de compagnie/Avec son ami bouc des plus haut encornés./Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez ; /L’autre était passé maître en fait de tromperie. |
Rimes embrassées (ABBA) |
Une autre façon de les distinguer. |
Vers 1 : renard Vers 2 : bouc Vers 3 : bouc Vers 4 : renard |
Le bouc est confiné au milieu, encadré par la supériorité du renard(premier et dernier vers du quatrain). |
|
Vers 1 : allait Vers 3 : voyait Vers 4 : était passé |
Imparfait Plus que parfait |
Situation initiale = premier quatrain. |
Vers 5 : La soif les obligea de descendre en un puits |
Passé simple |
Elément perturbateur : après le quatrain de mise en situation, le récit est lancé . |
Verbe d’obligation |
Evite les atermoiements sur d’éventuelles alternatives. |
|
Vers 6 : Là chacun … Vers 7 : Après qu’abondamment … |
Indications temporelles rapprochées |
Accélère le temps pour aller à l’essentiel. |
Vers 5 : les Vers 7 : tous deux Vers 8 : nous |
Références collectives |
Avant la rupture : dernière communauté d’intérêt dans la soif. |
Vers 8 : Le renard dit au bouc |
Ordre + passé simple |
L’initiative revient au manipulateur. On remarque que le renard est toujours sujet. |
Vers 8 : que ferons-nous compère ? |
Discours direct Question oratoire |
|
Vers 9 : Ce n’est pas tout de boire, il faut sortir d’ici. |
Alexandrin régulier 6/6 |
Résumé saisissant de la situation (le Bouc en avait-il pris conscience ?). La lucidité et la prise d’initiative donnent un ascendant au renard. |
Vers 9 : il faut Vers 10 : Lève Vers 11 : Mets |
Obligation, impératifs Alexandrins réguliers 6/6 Futur de certitude |
Sans attendre de réponse la solution claire, pratique, méthodique et autoritaire du renard s’impose et ne laisse pas place à la discussion car le renard ne veut pas que le bouc ait le temps de réfléchir. |
Vers 11/12 : Le long de ton échine/Je grimperai premièrement |
Suite de 5 octosyllabes Enjambement |
|
Vers 13 : Puis Vers 16 : Après quoi |
Indications chronologiques |
Logique temporelle montrant la prévoyance du renard et augmente sa crédibilité |
Vers 11 : ton Vers 12, 15, 16: je Vers 13 : tes |
Opposition entre je (le renard) qui fait l’action et tu (le bouc) qui la subit. Plus de nous |
Manipulation du bouc par le renard Séparation |
Vers 13 : sur tes cornes m’élevant |
Jeu de mots = sur ta crédulité, à tes dépens |
Je pars en m’appuyant sur ta crédulité, ironie moqueuse du renard (clin d’œil au lecteur) |
Vers 17/20 |
La réplique du bouc |
Un quatrain désopilant qui confirme la sottise de l’animal. |
Il est bon ; et je loue/Les gens bien sensés comme toi./Je n’aurai jamais quant à moi,/Trouvé ce secret je l’avoue. » |
Vocabulaire laudatif Admiration paradoxale |
Incapable d’envisager les conséquences le bouc fait rire par sa crédulité (la dupe remercie le dupeur) et atténue la pitié qu’on pourrait éprouver envers lui. |
Vers 17 : Par ma barbe |
Tournure surprenante |
Ridicule du bouc. |
Vers 18/20 |
Octosyllabes 5/3 |
Renforce l’admiration dans le ton. |
Vers 21 : Le renard sort du puits, laisse son compagnon |
Alexandrin régulier 6/6 |
Brièveté du dénouement attendu. |
Présent de narration |
Coup de théâtre (sauf pour le lecteur intelligent qui avait déjà compris). |
|
Vers 22 : Et vous lui fait un beau sermon |
Interpellation du lecteur(vous) Vous éthique |
Nous rend complice de la farce. |
Vers 22/23 : Et vous lui fait un beau sermon/Pour l’exhorter à patience |
Vocabulaire religieux et diérèse |
Ton solennel. |
Antiphrase |
Ironie : le renard se moque du bouc. |
|
Vers 24/30 |
Le « sermon » du renard |
Moquerie cruelle. |
Vers 24 : Si le ciel t’eût |
Vocabulaire religieux |
Confirme le sermon. |
Vers 25 : Autant de jugement que de barbe au menton, |
On se souvient de ‘‘par ma barbe ’’ |
Ironie moqueuse et cruelle. |
Vers 26 : à la légère |
Connote la crédulité et la sottise du bouc |
|
Vers 27 : Or adieu, j’en suis hors. |
Répétition interne de [or] dans le second hémistiche |
Provocation, volonté de remuer le couteau dans la plaie. |
Vers 28 : Tâche de t’en tirer et fais tous tes efforts |
Impératifs Allitération en [t] |
De nouveaux conseils utiles !? Ironie, cynisme… |
Vers 29 : Car, pour moi |
Lien logique de cause |
Faux motif, le renard se fait de nouveau manipulateur, escroc. |
Vers 29 : certaine affaire |
Indéfini |
Prétexte . |
Vers 30 : arrêter en chemin |
Formule légère |
Moquerie cruelle : il s’agit de la vie du bouc !!! |
Vers 31 : En toute chose il faut considérer la fin |
Brièveté de la morale Aphorisme très général |
Le « sermon » du renard explicitait déjà cette morale que La Fontaine se contente de généraliser. |
Conclusion :
Cette fable illustre les atouts de l’apologue : un récit enlevé, une intrigue simple, des personnages familiers et un texte court, le tout au service de la leçon. La fable ajoute à toutes ses qualités la liberté de la forme dialoguée et de la versification.
La Fontaine restera le plus célèbre des faiseurs d’apologue sans doute parce qu’il aura su mieux que quiconque concilier, pour reprendre sa formule, « le Corps et l’Ame de la fable ».