Texte I (p 149-151)

 

Charles Juliet : Lambeaux, (1995)

Un jour, il te vint le désir d'entreprendre un récit où tu parlerais de tes deux mères

l'esseulée et la vaillante
l'étouffée et la valeureuse

la jetée-dans-la-fosse et la toute-donnée.

Leurs destins ne se sont jamais croisés, mais l'une par le vide créé, l'autre par son inlassable présence, elles n'ont cessé de t'entourer, te protéger, te tenir dans l'orbe) de leur douce lumière.

Dire ce que tu leur dois. Entretenir leur mémoire. Leur exprimer ton amour. Montrer tout ce qui d'elles est passé en toi.

Puis relater ton parcours, cette aventure de la quête de soi dans laquelle tu as été contraint de t'engager. Tenter d'élucider d'où t'est venu ce besoin d'écrire. Narrer les rencontres, faits et événements qui t'ont marqué en profondeur et ont plus tard alimenté tes écrits.
Ce récit aura pour titre Lambeaux. Mais après en avoir rédigé une vingtaine de pages, tu dois l'abandonner. Il remue en toi trop de choses pour que tu puisses le poursuivre. Si tu parviens un jour à le mener à terme, il sera la preuve que tu as réussi à t'affranchir de ton histoire, à gagner ton autonomie.
Ni l'une ni l'autre de tes deux mères n'a eu accès à la parole. Du moins à cette parole qui permet de se dire, se délivrer, se faire exister dans les mots. Parce que ces mêmes mots se refusaient à toi et que tu ne savais pas t'exprimer, tu as dû longuement lutter pour conquérir le langage. Et si tu as mené ce combat avec une telle obstination, il te plaît de penser que ce fut autant pour elles que pour toi.
Tu songes de temps à autre à Lambeaux. Tu as la vague idée qu'en l'écrivant, tu les tireras de la tombe. Leur donneras la parole. Formuleras ce qu'elles ont toujours tu.
Lorsqu'elles se lèvent en toi, que tu leur parles, tu vois s'avancer à leur suite la cohorte des bâillonnés, des mutiques, des exilés des mots
ceux et celles qui ne se sont jamais remis de leur enfance
ceux et celles qui s'acharnent à se punir de n'avoir jamais été aimés

ceux et celles qui crèvent de se mépriser et se haïr

ceux et celles qui n'ont jamais pu parler parce qu'ils n'ont jamais été écoutés

ceux et celles qui ont été gravement humiliés et portent au flanc une plaie ouverte

ceux et celles qui étouffent de ces mots rentrés pourrissant dans leur gorge

ceux et celles qui n'ont jamais pu surmonter une fondamentale détresse.

 

 

Introduction :

L’entreprise autobiographique est souvent très exigente pour son auteur. Charles Juliet a mis douze ans de sa vie à écrire Lambeaux, paru est 1995. Cette œuvre fut composée comme un diptyque. Ces douze années montrent la difficulté et l’importance pour son auteur de raconter. Dans l’extrait que nous allons étudier, Charles Juliet se livre à un bilan dans lequel il nous fait partager l’historique de sa démarche. En même temps qu’à ses deux mères, il rend hommage à tous ceux qui n’ont pas eu la parole pour dire leur souffrance. Nous allons mettre en évidence dans une première partie l’hommage rendu aux deux mères et dans un deuxième temps nous  clarifierons le projet d’écriture de Charles Juliet ici présenté.

(Lecture)

 

I-                  hommage aux deux mères

 

a  - hommage

 

tes deux mères

l'esseulée et la vaillante
l'étouffée et la valeureuse

la jetée-dans-la-fosse et la toute-donnée.

Présentation parallèle

Hommage parallèle

Il met  les deux femmes à égalité par delà les différences

Ligne 2 à ligne 4

l'esseulée et la vaillante
l'étouffée et la valeureuse

la jetée-dans-la-fosse et la toute-donnée.

Antithèses + 

Mot de liaison

Caractéristiques différentes mais tendresse et hommage rapprochés

l'esseulée
l'étouffée

la jetée-dans-la-fosse

CL de la souffrance + gradation ds la souffrance

 

La mère biologique

Femme absente et solitaire Hommage pathétique et tragique pour la mère jamais connue

la vaillante
la valeureuse

la toute-donnée.

Vocabulaire laudatif

plus fort car substantivé : la 

Mère adoptive

Femme résistante, présente Générosité intégrale

- ces mères étaient l’incarnation de ce qu’il leur attribue comme description « la »

- absence de hiérarchie par le pluriel « tes deux mères » elles sont mises à  égalité « elles »

L’orbe de leur douce lumière

 

Image, globe orbe

Il évoque sa relation avec ses mères.

Protection fœtale

 

b- expression de la filiation

L'hommage prend toute sa puissance dans le lien, l’une est forte, l’autre est adoptive. Lien auquel il se raccroche, se justifie dans cette quête de redonner la parole. Lien essentiel dans sa démarche.

elles n'ont cessé de t'entourer, te protéger, te tenir dans l'orbe de leur douce lumière

Série d’hommages

Elles/tu

Tu complément d’objet

+ CL de la protection

Reconnaissance du lien, remerciement.

Dire ce que tu leur dois ; leur exprimer ton amour 

Leurs : COI

Réciprocité : elles lui ont donné tant il leur rend

tout ce qui
d'elles est passé en toi
 

Métaphore

Transmission symbolique à travers une lutte commune. Mère battante sans mots. Charles Juliet retrouve cette volonté à travers l’écriture.

Entretenir leur mémoire

infinitif / formule historique

Relation par delà le temps. Il reprend le combat des femmes sans parole.

c- résurrection

Tu les tireras de la tombe

Métaphore très crue

Résurrection à travers la démarche biographique

Elles se lèvent en toi

Métaphore insistant sur la forte présence des mères chez le fils adulte

Revivre au travers des mots de leur fils

Tu leur donneras  la parole

Métaphore

Il les fait revire

Traduit la seconde vie des mères à travers Lambeaux

Tu leur parles

Relation pronominale + PVG

Résurrection complète réciprocité du dialogue  ici et maintenant par le livre

d- l’importance de la parole retrouvée

tu vois s'avancer à leur suite la cohorte des bâillonnés, des mutiques, des exilés des mots

pluriels

+ accumulation d’images qui décrivent la privation de paroles

Discours solennel l’hommage dépasse les seules mères de Juliet

C’est l’emblème d’un monde privé de parole comme ses deux mères

Cohortes

Cohorte

unité d’infanterie de la légion romaine puis troupe de personnes.

DÉMOGR. Ensemble des personnes ayant vécu un même événement au cours de la même période.

Connotation militaire

Nombre important, ça n’ en finit pas

+ connotation militaire : c’est un combat que Juliet veut mener

Ton de l’invocation

Entre le solennel et le religieux. Hommage élargi. La valeur dépasse l’autobiographie personnelle

Thématique de l’hommage :

Deux type de refus :

-         l’oppression avec les bâillonnés.

-         Les mutiques, ils ne peuvent s’exprimer

Ce sont les exilés des mots

Etouffé

pourrissant

Termes métaphoriques très violents

C’est une vraie souffrance et non une coquetterie que de ne pas avoir les mots

ceux et celles qui crèvent de se mépriser et se haïr

Verbes violents plus pluriels

Ceci exprime au travers d’une impossibilité à vivre. Des vies entières détruites

L’hommage exigent réclame un projet d’écriture adapté. Une démarche difficile et volontaire.

II-               le projet  d’écriture

a- l’expression d’une volonté  

 

Un jour, il te vint le désir d'entreprendre un récit

Forme irrépressible de la volonté. Force préexistante à la conscience.

Juliet ne choisit pas : ce projet semble s’imposer à lui comme une nécessité

Dire, exprimer

Verbes à l’ infinitif

Relaye l’expression du désir nécessité d’exprimer ce désir

Narrer, relater, tenter d’élucider 

Narrer → récit narratif

Relater → récit rétrospectif

élucider → récit analytique

Démarche  de la libération par l’écriture. Souffrance perso libération de l’esprit des deux mères

 

b- le combat d’écriture

 

Quête, vaillante, lutter, conquérir, combat

Champ lexical de la lutte

Difficulté, résistance  des mots → il ne donne pas la solution mais des années seront nécessaires.

Se dire, se délivrer, se faire exister dans les mots

gradation ternaire

Sans les mots on peut être privé de la vie

Confusion mots=vie

Si tu parviens un jour à le mener à terme, il sera la preuve que tu as réussi à t'affranchir de ton histoire, à gagner ton autonomie.

Parallélisme entre l’hommage rendu et l’avenir possible pour Juliet

Il se libère du passé pour regarder l’avenir : sorte de justification du projet autobiographique et biographique de Lambeaux

Tu

Complexité du pronom choisi

Mère introspective + identification possible

Possibilité d’entrer dans le dialogue pour le narrateur. Lien affectif. Confusion mère/ narrateur  (parties 1 et 2)

a-      la mise en abyme

Désir

Mène a son terme

trop de choses

Départ du projet

Fin du projet

Difficulté du projet

Désire d’écrire le livre 

Renoncements successifs et retours nombreux

Il te vint

Tu dois l’abandonner

Tu songes

Si tu parviens

Il sera la preuve

Passé 

Présent

Présent

Futur hypothétique

Futur de certitude 

Le lecteur à l’impression d’assister à l’écriture du projet. Il écrit qu’il est en train d’écrire. Quête autobiographique et biographique. On suit au long du livre la vie du lecteur. Forme du pacte autobiographique l’auteur a un contrat avec le lecteur.  

Titre : « Lambeaux »

              

Titre métaphorique

Fragments de quelque chose

Mémoire fragmentée

C’est peut être de la chair alors  c’est très "sensible"

Gorge déchirée, fracturé ta vie, lacéré, arracher, blessure 

CL de la blessure violente

Se rapporte au titre

quête difficile à lire (puzzle) Reconstitution morceau après morceau de sa mère =

Il veut se reconstruire lui-même 

Conclusion :

Pacte autobiographique original rejeté à la fin du livre. L’écrivain ne s’adresse pas au lecteur. Le pacte est avec lui-même non pas avec le lecteur. Sorte de dédoublement entre celui qui cherche et celui qui veut abandonner. Importance de l’engagement de l’auteur se remarque grâce aux termes employés (violence). La démarche autobiographique dans Lambeaux  apparaît comme une nécessité impérieuse, cruelle, difficile à remplir. Le travail de reconstruction presque de résurrection, où la biographie et l’autobiographie semblent devoir trouver ces fameux « lambeaux » afin de pouvoir  reconstruire et se reconstruire soi-même tout en rendant hommage au-delà de l’histoire familiale à toutes celles qui ont été dans la souffrance d’être privées de la parole.